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Un geek chez les politiques... - 18 février 2011

Avec  l'aimable autorisation du blogueur "TURBLOG", je reproduis ci-dessous un billet relatant sa visite à l'assemblée nationale.

J'ai pensé que sa prose alerte et son regard neuf offriraient aux lecteurs un  témoignage intéressant et décalé sur le monde parlementaire.

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Ce matin, j’ai profité de l’aimable invitation de Laure de La Raudière (merci) pour aller poser mes fesses dans les pigeonniers de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale. Le sujet, c’était la neutralité du net.


 

C’était ma première fois.

 Alors, comment ça se passe ? On se pointe au 33 du quai d’Orsay où on montre patte (sac, poches et tout le reste) blanche en passant sous les classiques portails à détection de métaux.

J’ai rudement bien fait de laisser mes pinces et autres cutters à la maison ce matin, je sens que ça aurait été drôle si j’avais dû expliquer pourquoi je me balade avec tout ça.

Ensuite, on patiente sur un très joli fauteuil en cuir que les vestiaires ouvrent. Et là, premier drame, ça fait quelques années qu’on parle de hacker la loi, mais il est interdit d’amener ses outils de hacking avec soi. Adieu laptop, GSM, veaux, vaches et cochons.

 

Heureusement, quand on a 3 téléphones dans les poches, on arrive a en garder un sous la main, au hasard, celui de l’astreinte. Ouf !

 

Me voila donc parti avec mon petit tas de feuilles sous le bras et mon crayon. On peut aussi hacker old-style hein, faut pas croire

.

Il faut reconnaître que la vue de là-haut est sympathique, mais qu’on est extrêmement mal assis. C’est sans compter, en prime, sur les cohortes de touristes qui viennent s’agiter toutes les 10 minutes pour s’asseoir autour de toi et repartir dans les 40 secondes parce que ben… ils comprennent rien au film vu qu’ils n’étaient pas là au début. A ce sujet, on note que les groupes scolaires (de 8 à 18 ans) sont largement plus discrets et disciplinés.

 

Ensuite, du côté des règles. On est prié de fermer sa bouche. D’une part pour ne pas déranger les gens qui travaillent en bas, mais aussi pour que les auditeurs autour de soi puissent suivre les débats dans le calme. Manifestement, les deux personnes derrière moi n’avaient pas lu le howto avant de venir.

 

On est prié aussi de ne pas montrer de signe d’approbation ou de désapprobation. Ça, c’est beaucoup plus difficile. J’ai pouffé et levé les yeux au ciel à maintes reprises, c’était incontrôlable.

 

Et puis enfin, on est censé avoir une tenue correcte et neutre. Bon, ça, c’est pas mon fort. J’avais loupé cet épisode là et mon tshirt est un peu bariolé. Du coup, à défaut de pouvoir me fournir une veste jugée correcte par ces messieurs du vestiaire, j’ai enfilé ma polaire. Pour les personnes au gabarit normal, sachez que l’assemblée prête des vestes.

 

Sur ce qui se passe dedans maintenant. Il y a, pour commencer, une sonnerie stridente façon récréation d’école qui rameute les foules à l’ouverture de la séance, ce qui n’empêche pas bien sur les députés d’aller et de venir à longueur de temps.

 

Ce qu’on ne voit pas nécessairement non plus à la télé, c’est la quantité de gens qui traînent en bas de l’hémicycle.

 

Celle qui m’a le plus marqué, c’est la préposée aux boissons qui apporte les cafés à qui en veut (mais pas aux auditeurs du haut hein, faut pas rêver) et surtout qui, à chaque personne qui monte parler dans le micro, vient apporter un verre d’eau sur une petite serviette et reprendre le verre précédent dans lequel la personne précédente n’a bien entendu rien bu. Protocole curieux et clairement pas écolo, mais passons.

 

Et puis il y a aussi les députés qui réclament des post-it aux huissiers en plein milieu de la séance pour cacher la marque de leur laptop pour éviter que le CSA ne vienne taper sur les doigts de la chaîne parlementaire.

 

Tu vas nous gonfler longtemps avec ton roman fleuve ?

Non, j’ai fini. Venons en au contenu de la matinée. Ça causait de neutralité d’internet et force est de constater que personne n’a rien compris, ou en tout cas, personne ne semblait pressé de corriger le collègue qui disait une bourde.

 

Alors je vais prendre point par point les quelques petites choses que j’ai retenues :

 

Non, les “services gérés” (la télévision, la téléphonie sur IP, …) ne sont pas internet. Ils n’ont pas à être neutre, ils sont des services empruntant le même tuyau qu’internet pour aller jusqu’à l’abonné mais ils n’ont aucun lien avec le potentiel d’innovation d’internet, sa symétrie, etc … Il n’y a donc pas matière à légiférer sur leur neutralité puisque par définition ils ne sont pas neutres et n’ont rien à voir avec internet.

 

“Pouvoir éditer du contenu” avec internet, ça ne veut pas que dire “poster un billet de blog sur wordpress ou une vidéo sur dailymotion” et NON, il n’y a pas que les startups qui doivent pouvoir avoir accès équitablement au réseau pour diffuser du contenu. Madame Michu a toujours pu laisser son fils installer un serveur apache/php/mysql sur le PC familial et jouer avec.

 

Il faut cesser de présenter internet comme un tas d’acteurs différents (FAI, CDN, hébergeurs, éditeurs, diffuseurs, abonné, …) tirant chacun la couverture à soi. Il y a certes plusieurs métiers mais un même acteur peut tous les exercer à la fois. La petite boite dont je m’occupe fournit de l’accès à internet à des entreprises et des particuliers, héberge des contenus de clients connus et inconnus, édite des sites en propre et crée des logiciels qui font fonctionner le réseau. Internet est un réseau de réseaux et pour qu’il fonctionne, les gens doivent s’entendre. Ça fait plusieurs décennies que c’est comme ça et ça fonctionne très bien.

 

Il faut également cesser de faire croire à tout le monde que les vilains éditeurs de sites internet ne font rien qu’à pomper le réseau que les pauvres FAI ont toutes les peines du monde à construire. Ils paient, ces vilains éditeurs, tous autant qu’ils sont. Google a un réseau international qu’il paie avec son argent et permet à qui le souhaite d’écouler directement le trafic depuis et vers Youtube à partir de Paris. Ils prennent à leur charge la traversée de l’Atlantique si besoin est.

 

Ma petite boite paie des opérateurs pour amener du trafic jusqu’aux abonnés. Ça fait plusieurs décennies que c’est comme ça et ça fonctionne très bien.

 

Oui, il y a une rareté des fréquences à gérer du coté du mobile, mais c’est à l’autorité en place de se saisir du dossier et de commencer, par exemple, par dire aux opérateurs prétendant que Youtube leur bouffe toute la bande passante et qu’il faut la facturer au prix fort qu’il conviendrait de considérer la charge induite par la boitâkon (la télé, pour ceux qui ne sont pas habitués à mon amour inconsidéré pour la chose) sur mobile qu’ils ont mis en place généralement sous la forme d’une option gratuite ou faiblement payante mais forfaitaire tout en continuant à facturer le reste des données.

 

L’ami Jean-Michel a un peu plus développé quelques uns de ces points cet après midi.

 

En bref, quels sont, selon moi, les dangers qui nécessitent éventuellement de légiférer?

  • En premier lieu le danger politique lui-même. Il est absolument indispensable que la loi dise qu’il est interdit de toucher au coeur d’internet sans l’intervention d’un juge. Elle devrait même, à mon sens, dire qu’il est interdit de toucher au coeur des réseaux tout court, mais je subodore que nous ne sommes pas très nombreux à penser ça.
  • En second lieu le danger des abus de position dominante. C’est déjà écrit partout dans la loi, mais préciser que pour Orange, “limiter la bande passante vers Youtube pour pousser les gens sur Dailymotion, c’est interdit” ne serait pas un mal. Ca n’empêche pas Orange de transformer Dailymotion en “service géré” sur un autre canal qu’Internet comme ils le font déjà avec la TV.

 

Et donc au final, que s’est-il passé ce matin ? Rien du tout. Trois heures durant, des gens ont parlé dans un micro pour expliquer qu’ils étaient d’accord avec l’idée de la neutralité d’internet (qu’ils n’ont pas comprise) mais qu’ils ne voteraient pas la proposition de loi parce qu’elle arrivait trop tôt, parce qu’elle était trop partiale ou trop totalitaire, parce qu’elle était proposée par la gauche, etc.

 

Et puis, de toute façon, ils n’ont pas voté aujourd’hui, et c’est tant mieux, vu qu’il y avait moins de 5% des députés présents.

 

So what ? Comment on hack ce truc ?

 

Je sais bien qu’on dit d’une loi qu’elle est gravée dans le marbre, mais ce n’est pas vrai, ils passent leur temps à la patcher et à faire des commits (NDA : des ajouts du type “après la 2e virgule de la troisième ligne de l’article machin, on ajoute le mot “bidule”) qui complexifient le code général un peu plus chaque jour.

 

Mais alors, amis députés, ayez le courage de voter une loi que vous dites être bonne. Il sera toujours temps de l’adapter plus tard. Entre les gens assis dans l’hémicycle et ceux en coulisse, soit à vue de nez 80 personnes ce matin, c’est quasi l’équivalent de 7 semaines de boulot qui ont été perdues pour dire “oui… mais… non”.

 

Tous, quasi sans exception, vous avez dit les mêmes choses sous des formes différentes… Et si vous aviez plutôt dit “ouais, c’est pas mal dans les grandes lignes, allons y, on verra les détails plus tard !” ?

Et si vous mettiez un peu d’agilité dans ce bordel ?

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