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Mon intervention lors du débat sur l'application StopCovid - 29 mai 2020

Je suis heureuse d’intervenir pour la première fois en séance au nom du groupe Agir ensemble, à propos des libertés individuelles à l’heure du numérique. Vous le savez, chers collègues, c’est un sujet qui me tient à cœur.


Il y a un mois, le Premier ministre est venu débattre avec la représentation nationale de la stratégie à adopter pour permettre à notre nation de sortir du confinement. Cette stratégie globale repose sur le triptyque protéger, tester, isoler la population, et sur un déconfinement en différentes phases. Elle repose aussi sur notre capacité à casser les chaînes de propagation du virus, dès la connaissance de la contamination d’une personne, grâce aux enquêtes des brigades sanitaires et à l’outil complémentaire qu’est l’application StopCovid, objet de notre débat. L’application ne constitue donc pas l’alpha et l’oméga du déconfinement ; elle n’est qu’un élément de cette stratégie globale – cela a été très bien rappelé.
La stratégie de déconfinement fait d’abord appel à la responsabilisation individuelle des Français, au civisme de chacun, à notre capacité individuelle et collective de respecter et de faire respecter les gestes barrières, de faire attention aux plus fragiles, de se soumettre aux résultats des tests, aux enquêtes sanitaires et de rester confiné, en cas de contamination, afin de limiter la propagation du virus. Depuis le 11 mai, nous la déployons avec succès, puisque l’épidémie n’a pas connu de redémarrage.
Certains aimeraient y voir, on l’a entendu, l’inutilité de l’application ; certains disent que l’application arriverait trop tard ; certains pensent qu’elle n’a pas d’intérêt si elle n’est pas obligatoire ; d’autres s’opposent pour s’opposer, prolongeant le buzz médiatique sur le sujet et refaisant l’amalgame entre les applications de traçage à la chinoise – réellement liberticides, pour reprendre l’expression employée par certains collègues – et le projet du Gouvernement. J’ai eu l’impression, en écoutant M. Mélenchon, qu’il parlait d’un autre projet. Nous allons vraiment tout entendre cet après-midi sur le sujet. J’ai aussi l’impression que sur les textes concernant les libertés individuelles à l’ère du numérique, les positions de vote rendues publiques par certains groupes parlementaires sont peu cohérentes avec celles adoptées au cours des législatures précédentes.

 

D’autres groupes avancent pour s’opposer des arguments de vote qui évoquent, par exemple, des outils de surveillance, lesquels ne correspondent pas à la réalité de StopCovid.
Il est dommage que sur un sujet aussi sensible, touchant les libertés individuelles, nous ne fassions pas tous preuve d’une parfaite honnêteté intellectuelle et que nous ne sachions pas dépasser des postures simplement idéologiques. Je le dis avec d’autant plus de conviction que personne ne peut me faire ici un procès de laxisme vis-à-vis de la défense des libertés individuelles à l’ère du numérique et du respect de la vie privée.


C’est un domaine dans lequel ceux qui étaient dans cet hémicycle pendant les législatures précédentes m’ont vu batailler de nombreuses fois, souvent à l’encontre de mon groupe politique, défendant, amendement après amendement, le respect des libertés individuelles, en particulier de la vie privée et des données personnelles. Avec Pierre Lellouche et contre l’avis du groupe Les Républicains, contre l’avis de la majorité socialiste de l’époque, j’ai été à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel sur la loi relative au renseignement, adoptée en 2015. Je n’ai jamais changé de position concernant les précautions nécessaires pour défendre les libertés individuelles, ni concernant la prudence que nous devons garder face au solutionnisme technologique comme remède aux problèmes de notre société. À l’ère du numérique, si l’on n’y prend garde, tout se sait, tout se garde, tout s’analyse – c’est la fin de la vie privée. Heureusement, nous avons un cadre juridique protecteur des libertés individuelles, de la vie privée, des données personnelles ; nous disposons aussi d’une autorité, la CNIL – qui a prouvé au fil des années son indépendance –, chargée de veiller au respect strict du cadre légal.


Cela étant, voici ma grille d’analyse du projet du Gouvernement concernant l’usage de l’application StopCovid. Je ne le regarde pas d’un point de vue philosophique, mais de façon très concrète ; je me pose trois questions dans le cadre de nos travaux. Cette application peut-elle sauver des vies ? Quelles sont les garanties apportées par le Gouvernement concernant le respect de la vie privée et la protection des données personnelles ? Faut-il changer la loi, le cadre protecteur actuel, pour la déployer ?


Commençons par répondre ensemble à la première question : l’étude récente, parue en mai 2020, menée par une équipe multidisciplinaire de l’université d’Oxford, démontre que l’usage de l’application fait baisser le nombre des personnes contaminées et le nombre des décès, même lorsque seulement 10 % des habitants téléchargent l’application dans un bassin de vie. En outre, l’usage de l’application permet évidemment de faciliter le travail des brigades sanitaires pour mener à bien leurs enquêtes. Donc oui, effectivement, le déploiement de cette application peut sauver des vies. Alors que nous allons justement passer à la deuxième phase du déconfinement, que nous pourrons peut-être retrouver les terrasses des cafés, les salles de restaurants, que nous allons progressivement reprendre une vie sociale plus habituelle, l’application présente tout son intérêt pour identifier rapidement et efficacement tous ces nouveaux contacts et les avertir. StopCovid ne présente pas de problème de faux positifs ou de faux négatifs : si l’on est contaminé, les personnes avec lesquelles on a été en contact recevront une notification et iront se faire tester.


Il ne s’agit pas du tout de la même notion de faux positifs qu’avec la loi sur le renseignement.
Concernant les garanties apportées par le Gouvernement, elles sont nombreuses. Le volontariat sera réel car les contreparties au téléchargement seront interdites. Les tenants des libertés individuelles devraient réfléchir à ce que cela implique ; vous aimez peut-être la liberté, mais vous n’aimez pas la donner aux Français : vous n’aimez pas la vraie liberté, qui rend les individus responsables de leurs actes. Le volontariat sans contrepartie revient vraiment à donner le choix. J’insiste sur ce point, car la personne qui aura téléchargé l’application pourra l’activer et la désactiver en un seul clic – c’est la liberté totale. La limitation dans le temps de l’usage de l’application, comme pour les brigades sanitaires, constitue une autre garantie, comme le choix de la technologie Bluetooth sans géolocalisation et avec pseudonymisation pour respecter la vie privée, la prise en considération des remarques de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information et de la CNIL, la publication du code informatique – afin de rendre vérifiable que les mesures annoncées par le Gouvernement sont effectivement appliquées –, la réalisation de tests de débuggage de l’application par des hackeurs éthiques de l’association Yes We Hack pour vérifier qu’il n’y a pas de failles de sécurité avant le lancement et, enfin, la mise en place d’un comité de suivi pour évaluer l’usage de l’application. Concernant la loi, l’intervention de la garde des Sceaux a été claire : l’application StopCovid ne nécessite aucun changement législatif. Cela constitue une garantie de plus qu’elle sera respectueuse des libertés individuelles.


Nous aimerions néanmoins que la réalisation a posteriori d’une étude d’impact soit mentionnée dans le décret, afin de présenter les résultats en matières de santé publique et de respect des libertés individuelles, ainsi que le montant des dépenses publiques engagées. Nous défendons cette culture de l’étude d’impact, ma collègue Valérie Petit et moi en particulier ; sur un sujet qui concerne les libertés individuelles, nous voudrions que le Gouvernement revienne débattre avec nous autour de cette étude d’impact, au moment de l’arrêt de l’application, dans quelques mois.


Un dernier point n’a pas été évoqué aujourd’hui, pourtant essentiel aux yeux de notre groupe, aux idées libérales, humanistes et pro-européennes : l’interopérabilité avec les solutions de nos voisins européens. Où en sont les travaux sur ce point ?
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, au vu des garanties apportées, les députés du groupe Agir ensemble voteront en faveur du déploiement de l’application StopCovid, à l’unanimité.

 

 

 

 

1 Commentaire

lulu28
15/06/2020 10:43

Sur la forme tout d'abord, enfin une intervention politique objective et positive, dans une période où personnages politiques (y compris parfois dans la majorité) et médias, s'acharnent à vouloir montrer avec beaucoup de mauvaise foi ou de bêtise (mais souvent les deux) qu'il ne faut pas faire confiance à nos institutions. Je vous en remercie car cela redonne un peu de courage à celles et ceux qui pensent que ce n'est pas en dénigrant sans arrêt que nous redresserons notre beau pays.
Sur le fond ensuite:
1°) en ce qui concerne la protection des libertés, comment peut-on avoir moins confiance en l'application Stop Covid, qu'en l'acte d'achat sur AMAZON qui revendique ouvertement anticiper nos besoins dans leurs algorithmes? Il est à parier que bon nombre de détracteur de STop Covid ne se sont pas émus de la décision d'Amazon de propsoer des "mutuelles santé" à ses membres premium!!
2°) en ce qui concerne l'efficacité de Stop Covid, à nouveau c'est grâce au 60 millions de français qu'il sera efficace et donc à chacun de nous si nous prenons nos responsabilités de citoyens. De la même façon que, lorsque nous allons voter, notre voix ne compte que pour 1, mais sans chacune de ces "unités", il n'y a pas de "masse"; pour le Stop Covid, c'est pareil: chacun de nous est une brique sans laquelle l'édifice s'écroule.
Alors oui, rappelons le devoir de citoyen à tous les français.
Et merci encore pour cette intervention "très fraiche".

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